La responsabilité du fait des choses est aujourd’hui un pan essentiel du droit français. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, seuls des régimes spéciaux de responsabilité du fait des animaux et des bâtiments en ruine existaient.
L’explosion mortelle d’une machine à vapeur
C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt Teffaine de la Cour de cassation du 16 juin 1896. Les faits sont les suivants : Monsieur Teffaine décède à la suite de l’explosion de la machine d’un remorqueur à vapeur. Les ayants droit de Monsieur Teffaine assignent en justice le propriétaire du remorqueur, afin d’obtenir réparation de leur préjudice. Pourtant, aucune faute ne pouvait être reprochée ni à la victime, ni au propriétaire. L’explosion provenait en réalité d’un vice de construction.
Bon à savoir : la responsabilité du fait des choses impose au gardien de réparer le dommage causé par la chose, même en l’absence de faute prouvée de sa part.
« Lorsque j’ai appris la mort de mon mari, j’étais effondrée. Cette machine a coûté la vie au soutien de notre famille, mais son propriétaire refuse d’assumer ses responsabilités. Pourtant il avait la garde de cette machine, il aurait dû s’assurer de son bon fonctionnement avant de l’utiliser ! Nous réclamons justice. » témoigne la veuve de M. Teffaine.
La consécration d’un principe général par la Cour de cassation
En appel, le propriétaire est condamné sur le fondement de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine. Un raisonnement juridique douteux… Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 juin 1896, choisit de le confirmer, non pas sur ce fondement contestable, mais sur celui de l’article 1384 alinéa 1er du Code civil.
Selon la Cour, cet article pose un principe général de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde. Peu importe l’absence de faute du propriétaire, sa responsabilité est engagée du simple fait qu’il avait la garde de la machine à l’origine du dommage.
Ainsi, la Cour de cassation fait pour la première fois une interprétation audacieuse de l’article 1384, lui reconnaissant une véritable portée normative. Alors que le législateur n’avait pas prévu d’instituer un principe général, la Cour comble cette lacune afin de mieux protéger les victimes.
Une responsabilité de plein droit confirmée en 1930
Malgré la portée de cet arrêt, l’application du principe qu’il énonce reste hésitante. Il faudra attendre l’arrêt fondateur Jand’heur du 13 février 1930 pour que soit définitivement consacrée une responsabilité de plein droit du gardien de la chose. Dans cette affaire, une adolescente est renversée par un camion, mais les juridictions du fond refusent de retenir la responsabilité du conducteur, en l’absence de faute prouvée.
La Cour de cassation casse ces décisions et affirme « la présomption de responsabilité établie par l’article 1384 à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose ». Désormais, la preuve de l’absence de faute ne suffit plus à s’exonérer.